
Redécouvrir le Terroir : Une Clé Oubliée de Notre Résilience Alimentaire
Claude et Lydia Bourguignon, experts renommés en microbiologie des sols, nous rappellent que le terroir, ce mot presque mystique pour les Français, est en fait une réalité scientifique mesurable :
Qu’est-ce que le terroir ?

Le terroir n’est pas qu’un mot de gourmet. C’est un concept agricole, culturel et écologique à la fois. Il désigne la combinaison unique d’un sol, d’un climat, d’un savoir-faire local et d’un environnement vivant qui donne un goût distinctif aux produits alimentaires. En France, il fonde les appellations d’origine protégée (AOP). Mais ici, au Québec, ce concept est encore trop peu valorisé.
Et pourtant, derrière chaque carotte croquante ou tomate juteuse, il y a une terre vivante — ou pas. Comme le rappellent les microbiologistes Claude et Lydia Bourguignon, la richesse gustative et nutritive d’un aliment découle directement de la composition minérale et biologique du sol dans lequel il a poussé. Ils l'ont étudié d'abord à travers les vignes.
Alors, pourquoi avons-nous oublié notre terroir ? Et comment le réhabiliter comme socle de notre autonomie alimentaire ?
1. Pourquoi cultiver le terroir ? Avantages oubliés
Le terroir, lorsqu’il est pris en compte dans les pratiques agricoles et les projets nourriciers, devient un formidable levier de qualité, d’identité, de durabilité et de résilience. Ce n’est pas un simple concept romantique ou marketing : c’est un outil stratégique pour bâtir une alimentation plus ancrée, plus saine, et plus porteuse de sens.
Goût et qualité nutritionnelle
Un sol vivant, riche en micro-organismes, minéraux et matière organique, transmet aux plantes une diversité d’éléments qui influencent leur profil nutritionnel et aromatique. C’est cette alchimie entre biologie et géologie qui donne à un fromage, une fraise ou une carotte son goût “d’ici”.
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Les légumes racines cultivés sur un sol sablonneux seront plus sucrés et plus tendres. Ceux poussant sur un sol argileux seront plus fermes et riches en minéraux.
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Des études montrent que les produits issus de sols biologiquement actifs contiennent plus d'antioxydants, de polyphénols et de vitamines.
En cultivant le terroir, on favorise une alimentation vivante, bonne pour le corps, mais aussi pour l’esprit et le lien au territoire.

Durabilité environnementale
Le respect du terroir, c’est aussi cultiver avec ce que le sol nous offre — sans le forcer. Cela réduit drastiquement la dépendance aux fertilisants, à l’irrigation, et aux traitements chimiques.
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Une variété adaptée au sol local résistera mieux aux stress climatiques, aux maladies, et demandera moins d’interventions.
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Cela participe à la préservation de la biodiversité cultivée et sauvage.
Cultiver le terroir, c’est miser sur une agriculture low-tech mais intelligente, basée sur l'observation, l’adaptation, et l’humilité face au vivant.

Économie locale et circuits courts
Un produit porteur d’un ancrage territorial fort (ex : “ail noir de Saint-Camille”, “pomme à cidre de Frelighsburg”, “légumes de la Butte de Dunham”) gagne en valeur perçue. Il se distingue, attire la curiosité, crée une identité locale forte.
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Cela peut dynamiser les marchés fermiers, les restaurants de terroir, et même l’agrotourisme.
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Il devient un vecteur de fierté, d’attractivité économique et de transmission intergénérationnelle.

Résilience et autonomie alimentaire
En cultivant ce qui pousse naturellement sur place, avec des variétés locales adaptées au sol et au climat, on construit un système moins vulnérable aux chocs extérieurs : ruptures d’approvisionnement, crises climatiques, inflation des intrants.
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Le terroir devient alors un pilier de la souveraineté alimentaire, car il permet à une communauté de produire durablement, avec ce qu’elle a déjà.

2. Le terroir au Québec : une richesse sous-estimée





Le Québec est loin d’être homogène : d’un bout à l’autre de la province, la diversité de ses sols, de ses microclimats et de ses reliefs crée un véritable patchwork agroécologique. Sols argileux et lourds en Montérégie, sables légers dans les Laurentides, limons fertiles en Estrie, terrains rocheux dans Charlevoix ou les Appalaches... tout est là pour composer une mosaïque de terroirs.
Et pourtant, la valorisation de cette richesse reste marginale.
Des exemples porteurs de renouveau
Les Jardins de la Grelinette (Montérégie)
Jean-Martin Fortier a bâti sa réputation en adaptant son modèle bio-intensif à un sol sablonneux très drainant, nécessitant des rotations et des apports de compost réguliers. Il a démontré que la connaissance fine du sol permet une grande efficacité sur petite surface.
Le vignoble Les Pervenches (Farnham, Estrie)
Ce pionnier du vin nature travaille sans levures commerciales, en exprimant la minéralité de ses sols limoneux-argileux. Résultat : des vins reconnus internationalement pour leur identité gustative unique et locale.
Le jardin collectif de Pointe-Saint-Charles (Montréal)
Sur une ancienne friche industrielle, les habitants ont redonné vie à un sol dégradé par des aménagements ciblés (apports de biochar, engrais verts). Leur fierté ? Une tomate qui a « le goût du quartier ».
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Ce type de projet prouve que même en milieu urbain, le terroir peut se reconstruire et raconter une histoire.
Le sarrasin de l’Abitibi
Adapté aux terres acides et aux saisons courtes, il est le fruit d’un choix agroécologique intelligent : semer ce qui correspond au sol, plutôt que de forcer un modèle incompatible. Certaines microbrasseries l’utilisent déjà pour créer une signature locale forte.
3. Des obstacles encore bien enracinés
Uniformisation des pratiques agricoles
La logique productiviste a longtemps effacé la notion de terroir. Beaucoup de cultures sont choisies pour leurs rendements et leur standardisation, et non pour leur affinité avec le sol.
Méconnaissance du sol par les producteurs
Peu d’analyses de sol approfondies sont réalisées hors bio ou permaculture. L’accent est encore trop souvent mis sur la fertilisation chimique, sans réflexion sur les forces naturelles du terroir.
Formation peu axée sur l’agrologie appliquée au terroir
Les cursus en agriculture, même techniques, intègrent peu la lecture vivante du sol. Or, comprendre la pédologie locale est essentiel pour cultiver durablement.
Peu de soutien public ciblé
Ni subvention, ni reconnaissance spécifique n’encourage aujourd’hui les projets axés sur le terroir. Contrairement à la France où les appellations sont structurées et soutenues, ici le terroir reste un angle mort politique.
Pourtant, la redécouverte de nos terroirs pourrait être un vecteur puissant de transition :
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En agriculture de proximité
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En projets nourriciers collectifs
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En développement régional
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En identité alimentaire québécoise
À condition de le nommer, de le cartographier… et de le cultiver, avec soin.





3. Quelles actions pour réintroduire le terroir dans nos projets ?

Le Québec est loin d’être homogène : d’un bout à l’autre de la province, la diversité de ses sols, de ses microclimats et de ses reliefs crée un véritable patchwork agroécologique. Sols argileux et lourds en Montérégie, sables légers dans les Laurentides, limons fertiles en Estrie, terrains rocheux dans Charlevoix ou les Appalaches... tout est là pour composer une mosaïque de terroirs.
Et pourtant, la valorisation de cette richesse reste marginale.
Mieux connaître nos sols
Cartographier les terroirs locaux, étudier leur composition, leur histoire, leur potentiel. Des organismes comme le CRAAQ, MAPAQ, ou des acteurs comme Équiterre peuvent appuyer ce travail.
Former et sensibiliser
Introduire la notion de terroir dans les formations en agriculture, en aménagement du territoire, et même en cuisine. Une tomate du jardin communautaire peut avoir une fiche terroir !
Favoriser les variétés locales
Choisir des semences réadaptées au climat et au sol locaux, issues de semenciers québécois. C’est une base pour des cultures plus rustiques et savoureuses.
Inclure le terroir dans les projets nourriciers
En ville comme à la campagne, chaque projet de jardin, de serre ou de microferme peut intégrer une lecture du sol pour adapter ses cultures.
Créer des labels ou des récits
Et si on inventait nos propres Appellations Québécoises d’Origine Vivante ? Nos propres manières de dire “ce produit vient d’ici, et voilà pourquoi il est unique”.
Conclusion : Un sol vivant, une culture vivante
Redécouvrir le terroir, ce n’est pas revenir en arrière. C’est miser sur le vivant pour bâtir une agriculture de demain qui respecte les sols, les humains et les saisons.
En valorisant les terroirs du Québec, on cultive bien plus que des légumes :
> On régénère nos sols
> On reconnecte les citoyens à leur territoire
> On donne du sens à ce qu’on met dans nos assiettes
